Paroles de sacochard...

3èmes paroles du 21 octobre 2014 :              la bière...

                              S’il existe des boissons qui font bon ménage avec les cyclotouristes au long cours, la bière en est une, et elle se situe certainement en place d’honneur parmi celles-ci. Avant d’aller plus loin dans ces considérations, il faut bien sûr mentionner tout de suite la formule de prévention qui est d’usage : « A consommer avec modération ! ». Elle titre en général autour de 5°, ce qui peut paraître négligeable, comparé à notre vin davantage établi dans nos coutumes, mais si on n’y prend garde, elle peut aussi frapper fort…
                              Germaniste accompli et zélé, j’ai découvert au fil de ma vie tous ses charmes et ses secrets, qu’elle soit blonde, brune ou ambrée, de brasserie ordinaire, industrielle, artisanale, privée ou d’abbaye, ou encore de froment ou fumée, à basse ou bien à haute fermentation… Ma préférence va cependant aux bières bavaroises de froment (Hefeweizen ou Weissbier), appelées « pain de Bavière » en raison de leurs vertus nutritives .. .
                       Un verre de bière avant de conclure une belle et longue journée de bicyclette, cela s’apprécie et procure un plaisir inégalé… En Allemagne, c’est systématiquement un verre ou une chope de 50 centilitres. A peine posé sur la table, sa mousse glisse délicatement par-dessus les rebords du verre tandis que les petites bulles gazeuses effectuent un ballet délicat et gracieux à l’intérieur en remontant à la surface... A quatre heures de l’après-midi, alors qu’on vient d’accomplir sur la journée un capital de kilomètres respectable et qu’on voit le périple quotidien bientôt s’achever, qu’on n’a ni la pression ni la hâte d’un programme encore à venir, quel plaisir de s’asseoir à la terrasse d’un café, sous de simples marronniers par exemple à défaut d’un Biergarten, et de commander un demi ! Si le choix nous est offert on le choisira « pression » plutôt qu’en bouteille … Et on évitera de le mélanger à la limonade, un crime de lèse-majesté, ce panachage n’ayant pas d’autre part la valeur désaltérante d’un demi nature. Le mélange allemand qui l’associe à l’eau minérale conserve les vertus désaltérantes mais dénature le goût de la bière. Il est consommé cependant par de nombreux cyclistes et est appelé « Radler »( « cycliste » en allemand).
                           Fréquentant souvent l’Allemagne, et l’ayant même fréquemment parcourue à bicyclette, j’ai cultivé ce rituel de la « Bierpause» (pause bière) de seize heures, devenu vite un art, et je l’ai conservé au point de ne pas manquer l’occasion de m’y prêter en dehors de son cadre originel. Mais il existe un autre moment de la journée où ce rituel a aussi ses charmes, c’est le moment précédant le repas de la mi-journée, en guise d’aiguise-appétit et de chasse-fatigue-du-matin… Accompagnez-la alors de « Bretzel » (petites couronnes salées) bien croustillants, vous apprécierez certainement…
                        Tous les goûts sont dans la nature et il convient de respecter ceux qui sont différents des nôtres. Mais pour moi il n’y a pas photo, la meilleure bière est allemande. Avec l’ouverture des marchés la bière allemande s’est établie chez nous, peut-être moins rapidement et plus discrètement que d’autres produits made in germany, et elle est actuellement bien présente. Une marque envahit plus particulièrement depuis peu notre marché, Paulaner, une bière de Munich. La Wies’n - fête de la bière mondialement célèbre qui vient de se tenir à Munich au début de ce mois et qui a attiré 6,7 millions de visiteurs - a vu se consommer en l’espace de quinze jours autour de 6,5 millions de litres de bières bavaroises (record pour autant non égalé), parmi lesquelles la Paulaner qui dresse à cette occasion son immense chapiteau sur la Theresienwiese. Mais elle n’est pas la seule, accompagnée de Hofbräu, Spaten, Löwenbräu, Hacker-Pschorr, Augustiner… et j’en passe…
                         L’art du cyclotourisme étant de pédaler les mains en haut du guidon et d’observer le paysage autour de soi avec curiosité et attention, soyez donc désormais encore plus attentifs au paysage urbain. Lorsque vous verrez apparaître dans une ville ou un village une enseigne ronde à l’effigie d’un moine, barbe et chevelure épaisses et fleuries, la capuche rabattue sur les épaules, couleur dorée sur fond rouge et cerclée de bleu, arrêtez-vous, c’est bien là, Paulaner München pour vérifier.
                          Alors installez-vous, et – comme disent les Allemands - ……« Prosit ! »

2èmes paroles du 8 septembre 2014 :           Autour du verbe "bâcher"...

                          Le terme « bâcher » a une signification officielle et bien établie dans le langage des coureurs ; il signifie « renoncer », « jeter l’éponge » c’est-à-dire « abandonner ». On abandonne souvent sur chute ou bien parce qu’on est malade, dans les deux cas par contrainte. Mais cela arrive aussi lorsqu’ « on n’avance plus », qu’on est « cuit », ou qu’on subit une défaillance qui nous plonge dans les profondeurs de la course et du classement. La situation nous fait perdre toutes les chances de faire bonne figure, de tenir un rôle, voire d’obtenir un résultat dans la suite de l’épreuve, que ce soit dans la course d’un jour ou dans une épreuve par étapes. Pour le coureur qui mise tous ses espoirs sur la course et fait de nombreux sacrifices dans ce but  "bâcher" est toujours une décision difficile à prendre et à assumer, un aveu de défaite ou de faiblesse qui fait mal. On enlève alors son dossard et on monte dans la voiture-balai ou bien dans celle de son directeur sportif. On y cache sa déception et sa tristesse… souvent sa douleur, physique et morale.
                          Pour les cyclotouristes le terme a une signification usuelle et non officielle qui s’est répandue au fil du temps qui passe, et qui est en rapport avec le temps… qu’il fait. Comme le maçon couvre une toiture en construction pour la protéger de la pluie, le cyclotouriste « bâche » dès que la pluie s’annonce. Cela  signifie qu’il revêt une cape, sorte de poncho, qui l’enveloppe presque de la tête aux pieds. Ce sur-vêtement ample et léger lui permet même de recouvrir son guidon à l’avant et de protéger ses arrières autour de la selle. Le cyclotouriste se met ainsi au sec sous ce vêtement de protection qui prend d'ailleurs peu de place dans les sacoches. Revêtu de son poncho, il éprouve même une sensation de sécurité comme lorsqu’il se trouve chez lui, entouré par les murs de sa maison. Il se sent comme dans un bastion, à la fois protégé de l’extérieur et donc à l’abri de tout danger. Cette sensation est évidemment illusoire, car si le vêtement remplit son rôle à la perfection en le protégeant on ne peut mieux de la pluie, par contre, en cas de chute, il n’offre aucune garantie de protection.
                      Cette année où le temps fut particulièrement maussade et humide, les capes furent souvent de sortie chez les sacochards, et elles démontrèrent une fois de plus leurs vertus protectrices contre le mauvais temps.

Premières paroles du 19 août 2014 :          Être Cyclotouriste... To be or not to be...

           Le cyclotouriste est avant tout un cycliste qui se promène, et par là-même il se distingue déjà fondamentalement du cyclosportif et du coureur. Ces derniers ne se promènent pas, mais pédalent fort jusqu’au maximum de leurs capacités  pour affronter les difficultés, le chronomètre et leurs semblables, épris de la même passion. Ils se situent évidemment à un niveau très différent, selon qu’on est coureur ou cyclosportif.

           Pour le coureur, le cyclisme est en effet une profession. Il est payé pour rouler, accumuler les kilomètres de bitume, aligner les compétitions de février à octobre, remplir un contrat, faire des résultats… et aussi pour gagner, autant qu’il le peut. Il vit sous la contrainte de la performance et du résultat professionnel qui seuls peuvent lui garantir la stabilité des engagements et un avenir dans le métier. Ici on ne rigole pas, et la dure souffrance peut souvent s’insérer dans le quotidien du métier. Ainsi on comprend que les postulants soient plus nombreux que les élus, et les contraintes aussi plus nombreuses que les plages de liberté… Les lieux d’expression du coureur ont pour nom Paris-Roubaix, Milan-San Remo, le Dauphiné Libéré ou le Tour de France, le Giro ou la Vuelta pour ne citer que quelques modèles d’illustration….

           Le cyclosportif lui est un éternel rêveur. Il rêve de compétition et imite à son humble niveau le coureur. Appelé par certains « couraillon », il se situe, en apparence, plus près du coureur que du cyclotouriste. Il l’imite même par ses tenues, ses vélos au top et ses équipements du dernier cri. Il ne sort pas le vélo pour peler des figues, comme on dit dans le jargon. Et il ne parle souvent que de temps (« faire un temps »), de perf’, ou encore de moyenne horaire… Il se plaît à s’entraîner plutôt qu’à rouler, s’entraîner pour être encore meilleur et se tirer la bourre avec les copains. Son regard est davantage attiré par la roue arrière de celui qui le précède que par le beau panorama qui s’offre à son regard, et il n’a que faire des haltes culturelles, du temps pris pour une photo, ou de la pause « bière » dans un petit bistrot de pays bien accueillant. Il aurait d’ailleurs quelque part bien aimé être coureur dans sa vie, même s’il sait qu’il n’aurait jamais pu l’être. Donc il se contente de « jouer au coureur », en établissant des performances de son niveau qui – soit dit en passant – n’en demeurent pas moins qualitatives, honorables et dignes d’éloges… Ses lieux d’expression ont pour nom la Bernard Hinault, l’Ariégeoise, l’Ardéchoise, la Coppi, pour ne citer encore que quelques exemples d’illustration, sans oublier les sorties stéréotypées du dimanche matin, toutes calquées sur le même modèle, à fond la caisse, avec pour objectif d’en avoir terminé le plus tôt possible et le plus vite possible…

           Le cyclotouriste se situe lui à des années-lumière de tout ce petit monde. C’est à la fois un philosophe et un artiste, et comme tout philosophe et tout artiste il est avant tout épris de liberté, capable à tout instant d’improviser et de revoir sa feuille de route, chemin faisant. Il roule  pour faire du tourisme à vélo. Son but premier c’est donc de voir, découvrir, écouter, discuter, sentir, goûter, partager avec ses semblables, en compagnie desquels il cultive sa passion, pareille à un beau jardin dans lequel fleurissent une multitude de belles fleurs. Il ne sort pas pour faire un temps ni pour lancer un défi mais pour prendre le temps de donner le temps au temps et pour cultiver un objectif : celui de refaire chaque fois le monde en découvrant de nouveaux pays, de nouvelles contrées, de nouveaux paysages, de nouvelles curiosités, de nouvelles richesses patrimoniales, de nouvelles gens… Il ne craint ni la pluie, ni le vent, ni le soleil, ni la nuit, ni les difficultés du parcours, ni la distance, qu’il considère comme des compagnons de route naturels, merveilles de la Création, et la seule victoire qui l’intéresse, c’est celle qu’il remporte sur lui-même, sur la fatigue du long chemin, sur les éléments et sur les difficultés de la route… Ainsi il roule tout simplement à bicyclette, sans jamais se lasser ni se presser… Ses lieux d’expression sont la simple balade  pour le plaisir, seul ou en compagnie, tout comme la multitude de sorties qui ont des noms très évocateurs tels que la randonnée de l’ail nouveau, la randonnée des châteaux cathares, la balade des clochers, Pâques en Provence ou En suivant le Canal du midi, autant d’exemples enthousiasmants parmi tant d’autres…


           Chacun de ces types de cyclistes a des richesses qui diffèrent de celles de ses voisins et qu’il convient de respecter. La différence majeure entre les uns et les autres réside dans ce constat :

             Coureurs et cyclosportifs ont l’heure, tandis que nous, cyclotouristes, nous avons le temps…
 

             Être Cyclotouriste ne tolère ni à-peu-près, ni demi-mesure, on l'est, tout entier, ou on ne l'est pas... To be or not to be...